Cet article a été publié initialement pour le magazine économique suisse Bilan le 11 avril 2018.
Ne pas s’engager dans la transformation digitale, c’est s’infliger un handicap concurrentiel majeur. Mais comment l’aborder ?
Trois propositions sur-dominent l’actualité de la transformation digitale (on parle aussi de révolution numérique) :
- Le changement de culture,
- La technologie,
- La stratégie.
Cet article démystifie le sujet, remet en question ces propositions et en propose une quatrième avec un objectif: engager dans l’action les entreprises de manière pragmatique et réaliste.
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Il est difficile d’échapper au sujet de la transformation digitale
Cela peut susciter fantasmes (« l’intelligence artificielle et les robots permettront de tout automatiser ») ou craintes (« on va se faire uberiser »).
Ni l’un ni l’autre ne sont propices à la bonne décision et à l’action.
De nombreux dirigeants sont aujourd’hui encore soit dans le déni, soit dans l’inquiétude paralysante de ne pas savoir par où commencer.
Dans les deux cas, la transition n’est pas abordée, ou alors par le mauvais bout.
Résultat préoccupant : les entreprises et en particulier les PME prennent du retard.
Ne pas s’engager dans la transformation digitale, c’est s’infliger un handicap concurrentiel majeur qui peut devenir insurmontable face aux nouveaux entrants, ou, ce qui est le plus probable et redoutable, face aux concurrents qui se seront adaptés.
Ne pas s’engager dans la transformation digitale, c’est s’infliger un handicap concurrentiel majeur
Trois propositions sur-dominent l’actualité de la transformation digitale (on parle aussi de révolution numérique) :
- Le changement de culture,
- La technologie,
- La stratégie (nouveaux modèles d’affaires).
Par où commencer ?
Malheureusement, aucune des trois propositions ne permet vraiment d’aborder le sujet par le bon bout et elles ajoutent au contraire à l’inquiétude ou au déni des dirigeants, donc au retard pris par les entreprises.
Une des raisons est que le discours est porté par et pour les grands groupes et n’est guère adapté aux PME et ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) qui forment l’essentiel du tissu économique.
Les grands groupes ont d’abord un niveau d’informatisation beaucoup plus avancé et ont abordé la transformation digitale beaucoup plus tôt.
Ils ont les moyens de s’initier aux toutes dernières innovations technologiques, y compris d’expérimenter les plus immatures.
En outre, en raison de leur taille et de leur présence internationale, ils ont dû s’organiser pour un maximum d’efficience.
La logique de productivité et la logique financière ont bien souvent pris le pas sur l’innovation, la proximité avec les collaborateurs et les clients, l’agilité.
Or, la technologie, en abaissant les barrières à l’entrée, donne la possibilité à de nouveaux entrants d’acquérir une position majeure très rapidement, mettant à mal les rentes de situation.
L’enjeu pour de grands groupes est donc bien souvent de renouer avec l’esprit d’entreprise des débuts, ce qui passe par un changement de culture et possiblement un ajustement de son modèle d’affaires.
Pour de nombreuses PME, l’enjeu n’est pas le même.
Elles sont donc plus imperméables à la fois à l’argumentaire et aux préconisations.
Si elles suivent les mêmes voies, la potion administrée peut être totalement indigeste, voire mortelle.
Pour bien démarrer, nous devons d’abord nous entendre sur ce qu’est la transformation digitale
Il s’agit d’adapter son entreprise à une nouvelle réalité, à un changement majeur d’infrastructure, comme l’a été en son temps l’avènement de l’électricité, de la machine à vapeur ou du télégraphe.
Le fonctionnement de toute l’entreprise en est profondément affecté.
De quelle réalité parle-t-on ?
Celle où se conjuguent trois technologies: puissance de calcul, capacité de stockage des données, Internet en général et Internet mobile en particulier qui interconnecte ce calcul et ce stockage avec tout, tout le monde, partout, tout le temps.
Le cabinet de conseil McKinsey écrivait récemment que « la puissance de traitement des smartphones d’aujourd’hui est plusieurs milliers de fois supérieure à celle des ordinateurs qui ont envoyé un homme sur la lune en 1969. Ces appareils connectent la majorité de la population humaine et ils n’ont que dix ans » (ndlr: le premier iPhone a été lancé en 2007).
Toute information, où qu’elle soit, peut être capturée, numérisée et transmise en temps réel, là où elle est utile, auprès de qui, ou de quoi (objets, robots, calculateurs), elle est utile, sans même présager de l’usage qui en sera fait.
On met à disposition, si on ne sait pas quoi en faire, quelqu’un ou quelque chose saura.
Dans le monde de l’entreprise, il n’est quasiment plus d’activité et d’information sur notre environnement qui ne peut pas être réduite à une donnée.
Cette donnée peut à son tour être transformée en décision ou en action, avec ou sans intervention humaine.
Ceci posé, il n’est plus vraiment personne pour contester que cela aura un impact sur toutes les entreprises et sur toutes les fonctions de l’entreprise, quel que soit leur activité.
L’accès à l’information est désormais possible par tous, tout le temps et partout
L’impact se situe non seulement sur la manière de réaliser nos activités, mais aussi sur la réponse aux besoins des clients, donc sur les modèles d’affaires.
Demandez aux détaillants qui se moquaient de l’arrivée d’Amazon ce qu’ils en pensent aujourd’hui.
Bien, mais par quel bout aborder le sujet?
On l’a écrit plus haut, trois propositions sur-dominent, aucune ne convainc totalement et elles laissent les dirigeants dépourvus.
On pourrait aborder le sujet sous l’angle du changement de culture
Il y a quelques années, on a cru qu’il suffisait de recruter un CDO (Chief Digital Officer) qui serait l’évangéliste de la transformation, avec le risque qu’il finisse comme fusible ou en burn-out tant il portait toute la transformation sur ses seules épaules.
Ce rôle de coordinateur, à cheval entre le métier et la technologie, est important dans la phase de mise en œuvre, mais un terreau fertile est nécessaire et il ne peut pas le créer seul sans l’appui inconditionnel de la Direction.
Après cette approche top-down, on promeut désormais le bottom-up.
Il suffirait de recruter des millenials et de former les collaborateurs grâce à des MOOC (Massive Open Online Course, formation en ligne), puis de les faire brainstormer avec des post-it dans des salles propices à la créativité décorées de coussins colorés.
Or, les projets qui vont porter la transformation ont besoin d’investissements.
Les ressources sont limitées, particulièrement dans les PME.
Il n’y a que la haute Direction qui peut prendre ces décisions structurantes.
Les tenants de cette approche par la culture prônent avec une bonne intention le besoin de créativité, d’innovation orientée client, d’agilité et la nécessité de rendre les collaborateurs acteurs du changement.
Ils ont raison, mais il manque l’essentiel.
Tout d’abord, cela ne répond pas à l’enjeu majeur qui est le changement d’infrastructure et la suprématie de la donnée.
S’adapter à l’ère digitale, c’est s’adapter à cette réalité.
Le juste retour à l’innovation, à l’orientation client et à l’agilité, est une conséquence.
L’infrastructure de données, les flux d’information, sont la cause et c’est à cela que l’entreprise doit s’adapter.
Ne toucher que la culture peut dans certains cas être non seulement non nécessaire pour de nombreuses PME par nature déjà entrepreneuriales, proches de leur marché et de leurs clients, mais aussi et surtout être totalement inopérant tant que l’infrastructure n’a pas été adaptée.
Une lubie ou un emplâtre sur une jambe de bois en somme
Par ailleurs, tout changement majeur, et la transformation digitale en est un, provoque de la résistance.
C’est un voyage semé d’embûches qui durera quelques années.
La différence majeure entre le succès et l’échec est l’implication directe et visible de la Direction.
On le sait tous, définir et communiquer une vision et donner l’exemple sont les deux premiers piliers d’une conduite du changement réussie.
Le troisième pilier est de savoir d’où l’on part et où l’on va, on y reviendra.
Comment amener la Direction à développer une vision partagée des enjeux et à enclencher et soutenir le changement, voilà bien la première vraie question à aborder.
Aucune chance de réussir quoi que ce soit si la Direction ne sait pas d’où elle part et où elle veut aller.
Le changement de culture est donc un élément clé, mais c’est une condition du succès, un des axes sur lesquels travailler plus ou moins intensément selon la situation de l’entreprise, ce n’est pas ce qui détermine et enclenche le changement à mener par rapport aux nouvelles exigences de l’ère digitale que l’on a définies plus haut, ni donc le premier point sur lequel travailler.
La semaine prochaine on parlera des deux autres propositions sur-commentées dans les médias: technologie et stratégie.
Puis on finira par l’approche la plus rapide et la plus pertinente: le consensus au sein de l’équipe dirigeante et l’adaptation des flux d’informations.
Lire l’épisode 2 sur la technologie et la stratégie.
Et vous, qu’en pensez-vous ?