Publié dans Bilan.ch le 13 mai 2016.
Clients et Collaborateurs ont en commun le triste sort que l’on se méfie d’eux.
Les robots ne conseillent pas. Ils vendent des produits en réalisant le meilleur matching possible.
Si l’intérêt supérieur des clients guide les décisions et réalisations, alors on obtiendra la Compliance « gratuitement ».
L’adaptation à marche forcée des banques de gestion de fortune au nouvel environnement réglementaire est coûteuse et prend du temps.
Ceci empêche notamment de libérer du temps de réflexion pour développer d’autres projets, de développement d’affaires durable et de satisfaction clients notamment. En soi, c’est déjà préoccupant. Mais ce n’est pas le pire à mon sens.
Le pire est le sort réservé aux clients, la complexité qui est créée pour eux et pour les conseillers à la clientèle (voire contre eux).
Clients et Collaborateurs ont en commun le triste sort que l’on se méfie d’eux.
Qu’on me comprenne. Je suis pour la gestion des risques. Elle est nécessaire dans toute industrie et en particulier la finance. Gérer les risques est probablement le premier métier des banques. Mais il s’agit des risques des placements financiers avant tout. Or aujourd’hui, il semble que la gestion des risques est avant tout orientée sur le risque juridique : risque de se faire attaquer par les clients ou par le régulateur; risque qu’un collaborateur ne respecte pas les nouvelles règles de la profession.
C’est probablement le résultat d’un passé basé sur la confiance, quand une poignée de main suffisait à établir un contrat, qu’il faut aujourd’hui corriger très vite. Mais dans la course qui s’est engagée, je me demande si on n’est pas en train de créer une contre-culture qui pourrait nuire au développement à long terme, user les clients tout autant que les collaborateurs.
Ainsi, la tendance de la réglementation (MiFID en Europe et bientôt LSFin en Suisse) fonctionne contre ce qui devrait être l’ADN des gestionnaires de fortune : un conseil de confiance.
Avec la bonne intention de protéger les clients, les régulateurs ne font pas confiance aux banques et veulent éviter les ventes abusives de produits non adaptés (le misselling); ils veulent être sûrs que les conseils en placement sont réellement prodigués dans l’intérêt des clients.
Ils ont pour cela créé un concept: l’adéquation du conseil (« suitability » en anglais). Ils ne détaillent pas la mise en œuvre, se contentant de parler de « mesures appropriées » à prendre par les banques. Il y a aussi d’autres mesures, au nombre desquelles la formation, avant de passer à la certification comme en Angleterre, ce qui ne saurait tarder.
Les Banques ont 3 types de clients: ceux qui délèguent la gestion, ceux qui font leurs propres choix eux-mêmes et, entre les deux, ceux qui attendent un conseil.
Les Banques savent bien que c’est par le conseil qu’elles peuvent se différencier.
Dans leur soucis de prodiguer un conseil sur un grand volume de clients et dans leur crainte du risque juridique sous-jacent, les banques ont pour la plupart adopté une solution: affecter aux clients un profil de risque (Conservateur, Équilibré, Croissance), créer des modèles de portefeuille et référencer des produits dont le risque est adapté à ces profils, alerter automatiquement le gestionnaire du client en cas de déviation entre le profil de risque et les investissements du client.
L’avantage est que cela répond aux attentes du législateur et de ce point de vue protège les banques vis-à-vis de leurs obligations réglementaires (risque de conformité) et vis-à-vis du risque de plainte du client.
Mais cela répond-il aux attentes du client ?
Pour en arriver là, le client devra signer de nombreux documents, les mettre à jour en cas de changement de profil de risque, se justifier de ses choix, ou à tout le moins quittancer que son conseiller à la clientèle l’aura averti des risques, ce que ce dernier confirmera en laissant une note dans le journal client…
En outre, le client n’a pas nécessairement envie de rentrer dans une case. Il attend un conseil personnalisé et non pas automatisé. C’est même pour cela qu’il n’a pas délégué la gestion.
Comment les produits sont-ils proposés « dans la bonne case » ? grâce aux données de risque fournies par les fournisseurs d’informations financières.
Attendez-une minute, ces mêmes fournisseurs de données que se partagent tous les acteurs du marché (Reuters, Bloomberg et consort)? ma foi, oui.
Mais, une fois qu’on a choisi une case, qu’est-ce qui différenciera alors deux banques, voire deux clients ? Ne vont-elles pas peu ou prou proposer les mêmes produits ? Si l’on se base sur l’évaluation du risque du produit et du profil, c’est exactement ce qui va se passer.
Avec cette approche, on est tout simplement en train de niveler les propositions de valeur.
Qui en profitera ? Les conseillers-robots des Fintech (robo-advisors). Car au fond, ils ne font rien d’autre que mettre en relation un profil de risque avec des produits.
Prenez un processus que l’on peut répéter à l’identique et tôt ou tard il sera informatisé.
Sa valeur ajoutée baissera, et avec elle son prix, donc les marges. Seule la course aux volumes permettra de maintenir les revenus. Ce qui est exactement ce que l’on observe en ce moment (par rachat de banques ou de gestionnaires). Renforçant le besoin d’une approche du conseil orienté risque de conformité comme celui décrit précédemment… C’est une spirale infernale négative pour les gestionnaires de fortune.
D’autant qu’à ce jeu là, les Fintech sont redoutables d’efficacité: organisation simple, informatique flambant neuve et agile. Surtout, elles comprennent d’instinct comment utiliser les technologies dans l’intérêt des clients. Et le leur, par l’exploitation des masses de données recueillies sur les clients (Big Data). Elles ne transfèrent pas les anciennes pratiques sur le Web. Elles réinventent les usages en se mettant à la place des clients. Elles mettent tout en oeuvre pour offrir une expérience client la plus agréable possible en se fondant dans leurs habitudes.
Les banques de gestion de fortune peuvent-elles éviter ce scénario ? Oui.
D’une part en allant sur un terrain qui n’est pas fait pour les robots : soit en termes de service (conseil sur l’ensemble du patrimoine par opposition à la simple distribution de produits financiers), soit en termes de segment de clients (HNWI voire UHNWI), ce qui aura pour effet de réduire les volumes donc augmenter le temps d’attention à chaque client. Le législateur a d’ailleurs prévu d’alléger les contrôles dès que le client est considéré comme investisseur qualifié.
D’autre part en adoptant les méthodes de travail des Fintech (basée sur l’expérience client et l’agilité) et leurs outils (informatique orientée client).
Enfin en exploitant les faiblesses des robots. Les robots sont bons en math, mais il leur manque encore deux compétences clés pour calquer le conseiller humain : l’empathie et les convictions.
L’empathie permet de s’adapter en permanence au profil et aux besoins du client. Avec un robot, un client peut définir lui-même son profil de risque (« je suis orienté Croissance »), mais qui vérifiera qu’un biais psychologique ne l’a pas trompé ? qui adaptera le profil si les besoins changent ?
Les convictions correspondent aux placements privilégiés par le gestionnaire et la banque, à la diversification et au timing. Expliquées, mises en perspective, soutenues par des arguments autant techniques qu’émotionnels, c’est ce qui convaincra un client de travailler avec un banquier plutôt qu’un autre.
Les robots ne conseillent pas. Ils vendent des produits en réalisant le meilleur matching possible.
Finalement, en donnant aux risques leur juste place. La Compliance et la Gestion des risques est une barrière à l’entrée dans cette industrie, mais ce n’est pas un facteur de différenciation en tant que tel, sauf… dans la manière dont on la met en oeuvre et la priorité qu’on lui donne. Veut-on créer plus de complexité pour les clients et les collaborateurs, ou crée-t-on un système orienté client tout en fluidité, sans aucune friction, ni pour le client, ni pour les collaborateurs ? cherche-t-on à protéger la banque ou à protéger le client ? veut-on satisfaire les clients ou le régulateur ?
Si l’intérêt supérieur des clients guide les décisions et réalisations, alors on obtiendra la Compliance « gratuitement ».
Car on aura respecté l’esprit de ce qu’attend le régulateur, et pas juste la lettre. On gagnera alors sur deux tableaux: la satisfaction des clients et celle des collaborateurs, tout en se différenciant à long terme.